La figure du cercle est la plus métaphysique qui soit, sans début ni fin, elle est infinie. Elle ne se dirige dans aucune direction spécifique mais dans toutes les directions à la fois. Le centre est partout, la circonférence nulle part. La sphère est à la fois explosive et implosive. Elle fait plonger, en son centre, dans un abysse sans fond ou propulse dans l’espace multidimensionnel sans limite.
La pureté radicale de cette forme atemporelle me pose face à moi-même, dans la substance de l’instant, sans passé, ni futur.
Mon travail n’est pas un travail intellectuel. Il n’est le résultat d’aucune théorie ou concept. L’émotion face la créativité du vivant et l’émerveillement devant la beauté simple et vraie de la nature sont les ferments de toute ma recherche artistique. Chaque dessin se veut expérience sensible, directe, sans besoin de l’intervention de la pensée rationnelle et analytique. Le parti pris du dessin en lui même va dans ce sens ainsi que le choix des matériaux fragiles, délicats, tout est là pour traduire le frémissement du vivant, son aspect fragile, éphémère et sans cesse en transformation.
Dans la nature l’uniformité répétitive n’existe pas. Il n’y a pas un seul flocon de neige identique il n’y en a jamais eu depuis l’apparition de la première neige et il n’y en aura jamais. Le sujet de chaque dessin est finalement cette créativité incessante, parfois impalpable mais non moins réelle de la matière. L’inattendu, la surprise sont toujours au rendez-vous. Les infinis variations du trait témoignent du rythme et de l’intensité du geste suivant la qualité du matériau et de l’émotion du moment.
Ce travail est aussi une sorte d’hommage à cette nature qui crée et agit avec une patience infinie pour la simple beauté, sans aucune attente de reconnaissance, sans désir de conservation et sans besoin de récompense.
Le cercle se remplit progressivement sous la succession de petits traits linéaires ou circulaires. Ils forment une trame sonore, un bruissement imperceptible, le doux bruit d’un feuillage frémissant sous la brise, un chuchotement. La trame, comme une partition moderne, retranscrit les sonorités subtiles d’un silence vivant de manière tangible, graphique.
L’arrière plan blanc du papier transparait dans chaque interstice de cette trame plus ou moins lâche, ouverte, c’est une manière de le montrer, de le rendre existant. Pour illustrer cet aspect de ma recherche, une anecdote. Lors de la rétrospective Soulages à Beaubourg, j’ai eu un choc émotionnel, en regardant une petite toile, quasi toute noire, avec une ouverture vers le blanc de la toile au tiers de sa hauteur. Cette ouverture vers le blanc pur m’a crée une émotion intense. J’ai pris conscience à ce moment là que l’ensemble de mon travail tourne autour de cette émotion que j’essaye d’obtenir dans chaque dessin. L’émotion du contraste du plein du trait noir et du vide de la feuille blanche immaculée. Comment ce jeu de contraste et d’équilibre peut rendre palpable le vide du support et le rendre acteur à part entière du dessin, tout autant que le trait, le plein. Mes dessins sont à la fois vide et plein et c’est l’impression qu’ils veulent laisser au spectateur. La plénitude du vide.
« Si tu veux être plein, laisse toi être vide. » Tao Te King
L’émotion était aussi issue du fait que cette ouverture était comme un trou qui m’attirait puissamment, une porte vers la lumière pure. C’est d’ailleurs ce sujet qui va s’imposer de plus en plus comme la quintessence de ma recherche picturale (voir notamment les séries : La plénitude du vide et La lumière derrière les objets.)
Paysages lunaires, comme des apparitions, de l’ordre d’une vision intérieure qui va se révéler dans ce jeu de la lumière et de l'ombre ; paysages oniriques d'ombres et de lumière. La sensation de me trouver dans la matière même de l’univers, son mystère.
Polir la lune, mission folle et démesurée, pour la faire resplendir de lumière, la rendre aussi pure et translucide que la lumière qu’elle reflète. Polir jusqu’à la disparition de la forme, mais alors comment montrer la lumière ?
Certains dessins explorent la dissolution, la disparition de la forme, grignotée, happée par le vide. Pour laisser de plus en plus de place à l’arrière plan blanc, symbole de la lumière. En relevant le défi de ne pas rendre ce vide vide mais en essayant de le garder vivant, une présence intangible mais pourtant pleinement là.
Cette série et les suivantes sont aussi une invitation à questionner notre manière moderne et occidentale de regarder et de consommer les objets, la beauté, l’art.
Comme dit Kenneth Noland « I love art and I love the life of art and I only wish that the real life of art could affect social change in a good way and that the invasion of commercialism in art and the invasion of entertainment into all areas of our lives hadn’t brought some of the worst features of our culture into the realm of art. »
Notes d’atelier, octobre 2014
" La neige sur le plateau d’argent La lune qui éclaire le héron blanc Se ressemblent mais ne sont pas identiques Intimement mêlées L’une come l’autre persévère cependant en son être propre." … Sans fin la surface de l’eau lustre l’éclat de la lune…
Maître Dôgen